Un lieu public censé offrir un minimum de confort, de propreté, de dignité. À la place, une scène digne d’un cauchemar. Sur l’autoroute A31, dans le secteur de l’aire d’Entrange, près de Thionville, les toilettes publiques sont devenues un symbole de la dégradation des services d’accueil routier en France. Dégradées, souillées, impraticables. Les usagers, choqués, parlent d’“honte nationale”. Les réseaux sociaux, eux, s’en moquent, mais avec amertume. Car derrière la moquerie, il y a une réalité alarmante : l’État et les gestionnaires d’infrastructures semblent incapables de garantir un service de base, pourtant essentiel à des millions de voyageurs chaque année.
L’aire d’Entrange, symbole d’un système en crise
Située à la frontière franco-luxembourgeoise, l’aire d’Entrange est un point de passage incontournable pour les routiers, les familles en vacances, les travailleurs transfrontaliers. Et pourtant, son nom est désormais associé à une infamie : des toilettes insalubres, régulièrement inutilisables. Urinoirs bouchés, cabines souillées, sols collants, absence de papier, odeurs pestilentielles, déchets humains visibles — les témoignages se multiplient, aussi bien dans les avis Google que dans les reportages de presse.
Sur Google Maps, le lieu est surnommé “Toilettes de l’Enfer”, avec une note moyenne de 1,5 sur 5. Un sarcasme cruel, mais révélateur. Certains usagers, ironiquement, notent “5 étoiles” en décrivant l’endroit comme “un chef-d’œuvre multisensoriel sorti des ténèbres”. D’autres, plus directs, parlent d’“immonde dépôt d’excréments” et dénoncent une situation “scandaleuse”.
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Un problème ancien, jamais résolu
Ce n’est pas une crise ponctuelle. Dès 2023, la Direction interdépartementale des routes de l’Est (DirEst) avait dû fermer temporairement l’aire en raison de son état d’insalubrité avancée. Nettoyage impossible, dégradations répétées, saturation des installations. Deux ans plus tard, malgré des promesses de rénovation, la situation reste inchangée. Pire : elle s’est détériorée.
Selon des riverains interrogés par Le Parisien, même les entreprises de nettoyage hésiteraient à intervenir sur place. “Ils refusent de venir, c’est trop difficile”, confie l’un d’eux. Une image que la France ne peut plus se permettre, à l’heure où des millions de touristes étrangers parcourent le territoire chaque été. “Quelle impression on donne ? demande un habitant. On accueille les gens avec des toilettes qui ressemblent à un terrain vague.”
Une France mal préparée pour l’accueil routier ?
L’aire d’Entrange n’est pas un cas isolé. Partout en France, les aires de repos souffrent d’un manque d’entretien chronique. Le réseau autoroutier, en grande partie concédé à des sociétés privées, fonctionne selon un modèle économique qui privilégie la rentabilité des aires commerciales au détriment des services publics. Les toilettes gratuites, souvent mal surveillées, deviennent des cibles faciles pour les dégradations.
Et pourtant, des solutions existent. À quelques kilomètres de là, au Luxembourg, les toilettes sont propres, gratuites, entretenues. Un contraste criant. “Il n’y a pas de fatalité, affirme un routier régulier sur cet axe. En Belgique, en Allemagne, en Suisse, on trouve des sanitaires dignes de ce nom. Pourquoi pas ici ?”
Le gouvernement a bien lancé, en 2024, un plan de modernisation des aires de service, avec 200 millions d’euros débloqués. Mais les travaux avancent au pas. Et les priorités ne semblent pas toujours bien placées : nouvelles stations-service, franchises de restauration rapide… tandis que les toilettes publiques restent en bas de la liste.
Et la dignité, dans tout ça ?
Derrière ce sujet apparemment trivial se cache une question de fond : quelle idée avons-nous de l’espace public ? Les toilettes ne sont pas un luxe. Elles sont une nécessité vitale, un droit élémentaire. Refuser à des femmes, des enfants, des personnes âgées ou en situation de handicap un accès à des sanitaires décents, c’est leur refuser une part de dignité.
Dans un pays comme la France, membre fondateur de l’Union européenne, classé parmi les destinations touristiques les plus prisées au monde, un tel état de fait est inacceptable. Il interpelle autant sur l’efficacité du service public que sur la considération portée aux usagers.
Les “toilettes de l’enfer” d’Entrange ne sont pas qu’un mauvais gag. Elles sont un symptôme. Celui d’un désengagement, d’une indifférence, d’un défaut de pilotage. Et tant que personne ne décidera d’en faire une priorité politique, elles resteront ouvertes. Et honteuses.